Rencontre avec Artak Beglaryan, ministre d’Etat du Haut-Karabakh

La République d’Artsakh (le Haut-Karabagh s’appelle Artsakh en Arménien classique) ne veut pas disparaître juridiquement. Certes, fin 2023, alors que l’armée azerbaïdjanaise quadrillait cette entité récemment conquise, les derniers Ministres prononçaient verbalement la mort de la république. Les rédactions et les chancelleries du monde entier furent promptes à relayer cette nouvelle : la République du Haut-Karabagh s’étant auto-dissoute, nul besoin de la ressusciter.

Pourtant, pour Artak Beglaryan ministre d’État de cette république, en déplacement ce 25 avril dernier à Paris, cette autodissolution fut prononcée sous la contrainte le 28 septembre 2023. L’élection est donc nulle. En l’occurrence, l’armée azerbaïdjanaise aurait exigé que les ministres de la république défaite (mais non encore autodissoute) se constituent prisonniers, faute de quoi l’exode des habitants serait interrompu, ce qui était une menace puissante et arbitraire.

PoRtrait d’Artak Beglaryan

Beglaryan, artsakhiote, exerça les fonctions de ministre d’État de l’Artsakh un moment durant le triste interlude entre octobre 2021 et septembre 2023. Après l’invasion définitive le 22 septembre, Beglyaran sut qu’il était sur la liste des personnes recherchées par le pouvoir azerbaïdjanais. Il fut exfiltré recouvert d’une couverture dans le coffre d’une voiture. Une prouesse pour cet homme aveugle. D’autres ministres ont eu moins de chance : Ruben Vartanyan, multimillionnaire arméno-russe, avait assumé de hautes fonctions sous le régime assiégé de 2021-2023. Il a été arrêté par les militaires azerbaïdjanais, et inculpé de terrorisme. Le ministre des Affaires étrangères, David Babayan, politicien vivace et patriote artsakhiote, a subi le même sort. J’ai rencontré toutes ces personnes avant la grande débâcle, et ils n’étaient considérés comme terroristes nulle part.

Concernant Artak BeglaFletcher School of Diplomacy de l’université Tufts à Boston, il se consacre à prêcher la bonne parole pour l’Artsakh en parcourant les capitales pour marteler que la république d’Artsakh n’est pas morte.

Voici les points saillants qu’il nous a livrés :

Selon son gouvernement, on peut obtenir l’indépendance sans passer par le consentement de l’État dominateur (c’est-à-dire la puissance impériale, DD), dont de bons exemples : le Kosovo, et la Bosnie-Herzégovine. Il aime rappeler que l’Azerbaïdjan n’est pas super-puissance.

Pour une paix pérenne dans le Caucase, il préconise justice et équité, sans quoi les coups de force étatiques deviendront courants. Aujourd’hui 150 000 Artsakhiotes ont été chassés, privés de leurs droits collectifs.

La coopération militaire franco-arménienne

Concernant la coopération militaire franco-arménienne, Beglaryan rappelle que les formateurs français sont déjà présents en République d’Arménie proprement dite, dont l’objectif est la défense contre les menaces extérieures.

Aliev : le fossoyeur du Haut-Karabakh

Aliev (Ilham Aliev, président de la République d’Azerbaïdjan) souvent secondé par ses collaborateurs importants, évoque régulièrement une possible attaque sur diverses régions arméniennes, et parfois menacent d’anéantir la République d’Arménie elle-même, et à Bakou, on déteste cette coopération franco-arménienne.

Déclaration récente gouvernement de l’Azerbaïdjan : le peuplement du Haut-Karabagh va commencer, c’est-à-dire l’expropriation des biens laissés.

Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que l’expulsion des Arméniens du Haut-Karabagh ne doit pas être vue comme une fin de l’histoire, car la finalité est le retour dans leur terre natale de ces populations.

Il rappelle les points suivants : le 4 octobre 2023, 50 Arméniens au Haut-Karabagh, 100 000 partent (il y avait 150 000 habitants, dont à peine 12 Azéris, il y a 10 ans, DD). Aujourd’hui 11 ou 12 Arméniens restent, certains en cachette. Ces 12 ne peuvent bouger librement dans Stepanakert.

Question DD : les États étrangers font-ils assez pour défendre les droits culturels du Haut-Karabagh ?

Artak Beglaryan : non, il n’y a pas assez de volonté, or il y a 2 décisions de la CIJ qui donnent une base à une action diplomatique. Toujours est-il que des monastères et des églises ont été soit rasées, soit réappropriés. J’en veux pour preuve une vidéo avec la déclaration publique d’Aliev en février 2022, où il visite une église arménienne du 13e siècle, et dit devant la caméra qu’il fallait effacer les inscriptions en arménien, au motif que c’est une église « albanaise » dont les Azerbaïdjanais sont les descendants (les Albanais dont il parle, ancien peuple caucasien, n’ont rien à voir avec l’Albanie balkanique actuelle, il ne s’agit que d’une coïncidence de nom).

Autre preuve : les images satellites, un village près Shushi, Karintak, totalement rasée maisons, dispensaire, école. Aliev annonce la construction Mosquée. (DD n’a pas vérifier ces éléments).  Aucune réaction de la communauté internationale.

La guerre en Ukraine : un facteur d’aggravation pour le Haut-Karabakh

Un dernier mot de géopolitique, du point de vue du ministre Beglaryan : depuis 2021, la confrontation entre la Russie et l’Occident affecte la situation.

Avant 2020, le Groupe de Minsk était un rare exemple de coopération entre Russie, les États-Unis et la France. Aujourd’hui on assiste à un affaiblissement de la Russie dans le Caucase Sud. C’est l’Occident qui engendre cet affaiblissement, mais reste passif face à ses effets. La Russie elle-même glisse sous une certaine influence turque et azerbaïdjanaise.

Enfin, Anne Hidalgo va boycotter la COP29 qui se tiendra à Baku, une annonce qu’elle a faite aux côtés d’Artak Beglaryan, devant la statue de Comitas dédiée au Génocide de 1915, place du Canada.