En visite à l’Association de la presse diplomatique, l’émissaire de l’ONU à Haïti, William O’Neill a alerté sur la situation dramatique du pays, miné par des gangs ultra-violents.
Rien ne va plus à Haïti ! Depuis plusieurs mois, les gangs ont pris le dessus à la capitale Port-au-Prince, dont ils contrôlent tous les accès, de même que l’aéroport. Le 11 mars, le Premier ministre haïtien, Ariel Henry, a annoncé sa démission depuis Porte Rico où il réside toujours, selon nos dernières informations.
« Aujourd’hui, environ 1,5 million d’habitants sont au bord de la famine » alerte William O’Neill, qui décrit une situation non seulement grave, mais hors de contrôle.
Avec leurs 2 000 hommes environ (un chiffre très évolutif), trois gangs dépourvus d’idéologie, mais avides de pouvoir et d’argent contrôlent la capitale haïtienne ainsi que la côte : impossible d’affréter de l’aide humanitaire à Haïti ou une mission de rétablissement de la paix.
Des troupes kényanes de la MINUSTAH devaient atterrir à Port-au-Prince au mois de mars, mais rien ne s’est produit à cause du blocage de l’aéroport et d’un arrêt de la Haute Cour du Kenya, qui a exigé un accord réciproque de Haïti qui n’est pas d’actualité, tant qu’un gouvernement stable ne sera pas en place.
« Les haïtiens détestent les gangs et souhaiteraient ardemment qu’une opération militaire soit déclenchée contre les gangs, mais pour l’instant, personne ne souhaite intervenir » a rappelé l’émissaire. Mais encore faudrait-il qu’il y ait une force pour déloger ces gangs, qui recrutent aujourd’hui des garçons de 15 ans pour combattre.
Un état fantomatique
Le désordre considérable qui règne à Haïti depuis plusieurs mois révèle l’absence complète de toute structure étatique viable. Il reste encore quelque 9 000 à 10 000 policiers et un millier de militaires, qui croient en l’Etat selon William O’Neill, mais ils sont aujourd’hui très impuissants face aux gangs bien armés et financés par le trafic de drogue et dont les effectifs ne sont pourtant que de 2 000 hommes au maximum.
« A titre de comparaison précise l’émissaire onusien, la ville de New-York possède 37 000 policiers pour un territoire plus restreint et une moins grande population. » Pour une île de 27 750 km² seulement, Haïti est peuplée de 11 millions d’habitants.
Les armes utilisées par les gangs viennent essentiellement de Floride et sont transportées sur des embarcations de petite taille, qui ne sont contrôlées par aucun Etat. « Pourtant, ce serait assez facile » a regretté l’émissaire. Récemment, la douane haïtienne a réussi à arrêter un bateau rempli d’armes sur ses côtes, alors qu’elle possède peu de moyens. Des Etats plus puissants pourraient facilement accroître leurs contrôles sur les navires à destination de Haïti.
Un conseil présidentiel, composé de neuf membres, est chargé de désigner un président. Mais il est difficile à ses membres de se réunir, du fait de la situation sécuritaire fragile. Par ailleurs, leurs réunions précédentes n’ont pas abouti à des résultats très concluants. Des réunions en visioconférence sont envisagées dans les prochaines semaines.
à qui la faute ?
La question de la responsabilité de la situation sur place est sensible et William O’Neill y a répondu sans détours.
D’abord, il a fait remarquer que l’instabilité endémique de Haïti remonte à sa prise d’indépendance, en 1825. Lorsque la France a quitté Haïti à la suite de la révolution qui s’est déroulée de 1791 à 1804, elle a exigé une forte rançon, que l’île a dû payer des décennies durant. Le nouveau gouvernement haïtien, très pauvre dès le départ, devait aussi de l’argent aux Etats-Unis et à l’Allemagne.
Ensuite, les gouvernants successifs sont très directement responsables de la situation sur place, à cause de leur mise en œuvre d’une corruption « systématique » au sein du pays.
L’émissaire a enfin souligné le rôle controversé des Etats-Unis, qui a occupé l’île de 1915 à 1934 et n’a pas véritablement arrangé la situation. Aujourd’hui, Joe Biden n’est pas prêt à se mêler d’un dossier aussi sensible à sept mois des élections présidentielles.
Par ailleurs, William O’Neill a rappelé le rôle très important de l’Etat français au XXe siècle pour la consolidation de l’Etat haïtien. Ce sont des gendarmes français qui ont formé la police haïtienne et des magistrats français qui ont instauré le système judiciaire en place. Enfin, la France a contribué à la mise en œuvre du système éducatif, qui est presque inexistant aujourd’hui.
Quel rôle pour la République Dominicaine ?
Sur le rôle de la République Dominicaine, le journaliste de RFI, Jean-Michel Caroit, dont l’épouse est dominicaine, a pris la parole.
Il a précisé deux points majeurs : d’abord, la volonté du gouvernement dominicain de ne pas s’immiscer dans le conflit haïtien et l’hostilité croissante de la classe politique dominicaine envers Haïti depuis plusieurs décennies. Depuis la reprise des violences, l’Etat dominicain a commencé à construire un mur à la frontière avec Haïti et a mis en place un dispositif militaire important pour empêcher les migrants haïtiens de se rendre en République Dominicaine.
Ensuite, le journaliste a rappelé aussi que la République Dominicaine était la première à alerter sur la dégradation de la situation à Haïti auprès de l’ONU. Manifestement, ses messages n’ont pas été pris en compte jusqu’à l’éclatement des violences fin 2023.